Ça a commencé avec un coup de fil d’un professeur de judo de Katmandou : “il y a un tournoi inter-écoles en juin, vous viendrez ?” et quelques informations parcellaires et erronées comme celles concernant le public visé : garçons entre 30 et 35 kilos nous dit-on alors. Nous n’avons qu’un mois pour préparer d’éventuels volontaires. Les enfant viennent à peine de démarrer le judo. Nous avons trois groupes d’une dizaine d’élèves, dont 10 filles ! Nous enseignons tous les jours après les cours, soit 6 jours sur 7. Chaque groupe a cours deux fois par semaine. C’est mince pour les présenter aussi vite à une compétition. Il faut se décider rapidement. Nous tenterons l’aventure !
Les délais étant très courts nous décidons de n’entrainer que 8 enfants correspondant au critère de poids en vue de la manifestation. Notre surface ne permet pas d’en préparer sérieusement davantage. Par chance, le verdict de la balance du dispensaire local nous évite d’avoir à désigner les “heureux” élus. Notre “competition team” est créée, il nous reste 21 jours d’entraînement. Rendez-vous est pris avec eux tous les matins avant les cours.
Les quelques doutes que nous concevions quant à leur persévérance dans l’effort avant de commencer cette préparation se sont très vite envolés. Non seulement ils se sont présentés tous les jours à l’heure, mais il est même arrivé un jour de pluie qu’ils viennent nous chercher chez nous pour s’assurer qu’il y ait bien cours :”Yann sir, Sindy miss, we play judo today ?”. Quant aux entraînements, increvables.
Le tournoi approche et nous finissons par avoir connaissance de quelques unes de ces modalités. Il est organisé sur 2 jours et s’adresse aussi bien aux garçons qu’aux filles répartis dans 18 catégories de poids (chez les garçons : –30 Kg jusqu’à –60 Kg, par tranches de 5 Kg, puis –66 et +66 Kg ; pour les filles : –32 Kg jusqu’à –52 Kg, par tranches de 4 Kg, puis –57 Kg, –63 et +63 Kg), autrement dit une seule chance de médaille d’or sur 18 pour nos judokas qui sont tous alignés dans la même catégorie de poids.
La veille du tournoi, nouveau coup de fil : “Namaste, on vous attend pour la pesée. Elle se termine à 11h”. Il est 9h45 et Katmandou est à une bonne heure de micro-bus, quand il y en a... Comment dire… ça se passe comme ça, chez Mc Népal ! Allez, vaut mieux en rire. Branle-bas de combat, où sont les enfants ? L’heure est mal choisie pour se rendre à la capitale. Micro-bus blindé, 35° facile à l’intérieur pour autant de personnes (hors chauffeur, le véhicule ne pourrait accueillir que 13 passagers en France).
Nous arrivons enfin dans les locaux de la fédération, il est presque midi. On a eu la gentillesse de nous attendre mais c’était moins une.
Les enfants entrent pour le première fois de leur vie dans l’atmosphère d’une compétition. Pesée en slip, hilarité générale. 10 petites minutes plus tard on peut rentrer à l’école avec cette bonne nouvelle que trois d’entre eux pèsent finalement un peu moins de 30 Kg et nous permettent ainsi de présenter des combattants dans 2 catégories de poids différentes.
Vendredi 19 juin, première journée. Départ, 8h30. Après 2h de trajet pour une quinzaine de km, toute l’équipe arrive au MMCA (Multipurpose Martial Arts Center) au nord de KTM, le gymnase qui a accueilli quelques semaines plus tôt le championnat national : nos 8 ceintures blanches, Prem et nous. Seuls les 3 combattants des moins de 30 Kg vont combattre aujourd’hui mais il nous a semblé important que les autres soient là pour se mettre dans le bain et encourager leurs copains. Ceux-ci ont d’ailleurs pris un sacré coup de mou en entrant dans le gymnase : grande surface, nombreux combattants, nombreuses ceintures de couleur et nombreux public… La pression est montée subitement d’un cran. L’organisation attend plus de 200 participants sur ces 2 jours pour une seule surface de combat et des combats de 4 minutes ! Début prévisionnel du tournoi à 11h. On n’est pas rentré…
De la petite compétition inter-écoles qu’on imaginait nous voilà plongés dans ce qui se rapproche davantage d’un championnat scolaire national. Certains sont venus de très loin, comme ces jeunes judokas du Teraï par exemple, cette région du sud frontalière de l’Inde et très connue pour ces parcs nationaux où l’on peut admirer à dos d’éléphant tigres du Bengale et autres rhinocéros unicornes.
La compétition démarre avec 2 heures de retard avec cette sérieuse interrogation : pourra-t-on rentrer chez nous ? Il n’y a en effet plus de micro-bus pour nous ramener après 20h. 2 chances seulement de médailles pour nous aujourd’hui dans un tableau à élimination directe de 26 combattants. Malheureusement, d’après le tirage au sort, 2 de nos combattants pourraient s’affronter avant les demi-finales.
Les combats commencent enfin. Hurlements, spectateurs et combattants sur les tapis, ramassements de jambes et Morote-gari à la pelle, peu de judo dans l’ensemble et des saluts, sporadiques, qui laissent franchement à désirer. On ne décrochera pas l’or mais nos 3 judokas, du point de vue de l’attitude, auront-été irréprochables.
Le premier, Sankhar (“Sankor”), rencontre une ceinture verte qui se jette dans ses jambes, lui en saisit une et lance un mouvement plus proche du lancer de poids que d’une technique de judo. Ippon. C’était le premier combat de la catégorie. Nous ne les avions pas préparés à ça. On briefe les suivants. Second combat. Plein de bonne volonté Rohit se lance dans la bagarre avec plusieurs tentatives de mouvements de hanche qui finissent au sol sans résultat. Un peu vert comme on dit, il sera attrapé pour une immobilisation alors qu’il allait se relever, insouciant, l’adversaire dans le dos. Le troisième, Kiran (“Kirone”) ne s’y fera pas prendre et bloquera systématiquement toutes les attaques adverses dans les jambes. Il passera brillamment ses 3 premiers tours avec force détermination et surtout du judo, 2 ippons et un waza-ari. Il échouera en demi-finale face à la même ceinture verte qui a sorti Sankhar et qui gagnera la catégorie, beaucoup plus solide physiquement et techniquement. Médaille de bronze tout de même ! Nous patientons jusque la fin de la compétition pour la remise des médailles qui sera finalement reportée au lendemain. Youpi. Nous arriverons chez nous vers 20h40.
Extrait du spectacle de danse traditionnelle présenté pendant la pause :
Samedi 20 juin, deuxième jour. L’équipe s’est aujourd’hui renforcée de 2 supportrices, les 2 professeurs de maternelle qui suivent nos cours de judo du soir avec Prem. Nos 5 combattants du jour sont très motivés et riches de l’expérience acquise la veille à observer les combats. Comme hier, nous arrivons parmi les premiers et occupons la première rangée des places spectateurs. Aujourd’hui encore tirage au sort décevant puisque 2 d’entre eux se rencontreront pour leur premier combat avant d’affronter un autre copain au tour suivant pour peu que ce dernier gagne le sien. Autrement dit, 3 chances de médailles seulement dans cette catégorie des moins de 35 Kg de 23 combattants. Pour l’organisation aussi des leçons ont été tirées de la veille. Des rubans empêchent la présence de spectateurs sur les bords du tapis et les arbitres se montreront plus à cheval sur l’attitude des combattants. Nous avons plaisir à croire que nous ne sommes pas étrangers à ces ajustements.
Démarrage en trombe par Bikash (“Bikasse”) avec un très beau contre de O-soto-gari compté waza-ari suivi d’une immobilisation pour le compte. Ram et Rajiv (“Rodjip”) dépassés à la garde au premier tour en resteront là. Dans l’affrontement “fratricide” qui les oppose, Ujyol prend l’ascendant sur Sandesh (“Sundes”) avec un splendide Morote-seoi-nage terminé en immobilisation. Au tour suivant, Bikash se montre moins combatif et fini par céder au sol. Ujyol, qui avait sauté le premier tour avant de l’emporter sur son copain, cèdera également au sol contre une ceinture verte. Verdict du jour, un classé mais pas de médaille.
La journée se termine par la remise des récompenses. Pas de podium, les prix sont remis à la chaîne. Nous sommes très satisfaits d’avoir eu au moins une médaille qui au final revient un peu à toute l’équipe. Cerise sur le gâteau, la fédération me décerne un prix pour mon implication en faveur du développement du judo au Népal auquel évidemment je ne peux de mon côté oublier d’associer Sindy qui encadre les enfants tous les jours avec moi.
Ca valait vraiment le coup. Plus qu’une histoire de médailles, nous nous rendons compte à quel point cette expérience a été importante pour eux. Il fallait les voir arborer la mine des vieux baroudeurs au cours suivant.
Enregistrer un commentaire